ASSOCIATION POUR LA MEMOIRE
D'ALOYSIUS BERTRAND

Frédéric KAHN

Ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte

La Lune peignait ses cheveux avec un démêloir d'ébène

Ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte…(1996)

avec la voix de Stéphane Castang

Oeuvre de musique acousmatique

 

de Frédéric Kahn (né à Dijon en 1966)

Frédéric Kahn est né à Dijon en 1966. Il a étudié la composition acousmatique au Conservatoire de Lyon avec Denis Dufour et Bernard Fort.

 

 

Cette musique a été primée au Concours de Projets Musicaux Scènes ouvertes en 1996 . Elle a été réalisée dans les studios du Groupe de Musiques Vivantes de Lyon et créée au Festival des 38e Rugissants de Grenoble.

Elle se propose, par morcellement et dans l’idée formelle d’un parcours, en décalage et surimpression d’éléments sonores, de suggérer la même fiction que celle mise en jeu dans le poème d’Aloysius Bertrand.

 

Cette œuvre dure 11 minutes. Onze minutes d’écoute sans support visuel qui puisse parasiter l’imaginaire de l’auditeur en lui désignant la source sonore de ce qu’il perçoit : cette œuvre se propose de recréer grâce au son l’atmosphère du poème « un Rêve » issu du Troisième Livre des fantaisies de Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand.

La musique n’est pas seulement « inspirée » du poème : elle suit son déroulement. On peut d’ailleurs reconnaître, énoncée par une voix modifiée, ralentie, pâteuse -la voix du rêveur ?- les énumérations du texte qui balisent l’écoute. Le poème est ainsi à la fois étiré, et concentré dans la matière sonore. Il semble s’agir d’un rêve de poème. Les éléments sonores d’un romantisme « noir » (bruits de geôles, voix, cris, nature) n’y sont jamais tout à fait saisissables en-dehors de la matière sonore qu’ils composent. Ils suivent le cours du récit flottant et déchiqueté qu’est celui du rêve. Les images du texte s’y greffent dans une surabondance de stimulations qui les évoquent mais ne les fixent jamais.

De ce point de vue le poème est éprouvé en tant que déroulement d’évènements, une temporalité qui joue sur celle de la lecture et de ses approximations dans le cours de l’évènement que constitue le poème, approximations qui jouent la subjectivité de l’auditeur et que seule la mémoire parvient à reconstituer : mémoire flottante dans le réel de la perception, mémoire a posteriori que constitue la possibilité de recréer son rêve : puisqu’un rêve en tant que tel ne sera jamais que la recréation par la mémoire volontaire, d’illusions.

Atmosphère noire que l’auditeur subit, tout comme le rêveur, dont il est imprégné, tout comme le lecteur, par les flashes visuels, qui composent le cours d’une énumération qui n’a d’ordonnée que sa syntaxe. De ce point de vue, l’œuvre de Frédéric Kahn montre combien un Rêve d’Aloysius Bertrand est un poème cinématographique qui se prête à ce traitement acousmatique dont la visée est la visualisation mentale. La définition de cette branche de la création électroacoustique par Denis Dufour et Thomas Brando montre d’ailleurs combien la métaphore visuelle est omniprésente dans sa visée esthétique de la musique acousmatique.

« L'art acousmatique est un art sonore. Les oeuvres qui en sont issues sont des oeuvres de support : elles ne se manifestent que par la lecture du support sur lequel elles sont enregistrées, fixées dans une forme définitive. A la fin des années quarante sur des disques souples, puis sur la bande magnétique des magnétophones et aujourd'hui sur la mémoire des ordinateurs.

« Ce support est au musicien acousmatique ce que la pierre est au sculpteur, la toile au peintre, l'épreuve au photographe, la pellicule au cinéaste. Comme le sculpteur son matériau, il taille dans la matière des sons, il construit, il détourne, souvent. Comme le peintre ses couleurs, il juxtapose, il mélange, il transforme, il compose. Comme le photographe, il saisit, il cadre, il éclaire, il surimprime. Comme le cinéaste enfin, il régit le temps, il crée le mouvement, il monte, il oppose, jouant de la répétition et de l'attente, de la continuité et de la rupture, de la fluidité et du heurt. Comment ? A partir d'un matériau initial : le son, au sens le plus large du terme. A partir de prises de son. Acoustiques, elles peuvent être faites à partir de jeux sur divers instruments choisis pour leur aptitude à "sonner" (des corps sonores), d'univers habités d'événements caractéristiques, de parcours, de gestes ou de séquences jouées à dessein, voire de sons "figuratifs" ou de jeux sur des instruments traditionnels ou "exotiques". Synthétiques, elles peuvent être constituées de sons ou de séquences électroniques jouées au synthétiseur, ou numériques, issues d'une programmation logicielle ou de transformations immédiates d'événements sonores...

« Et que fait le compositeur de ces prises de son accumulées ? Il les classe, et opère sur elles des choix, une répartition, des coupures, puis de multiples transformations dans un studio équipé de nombreux appareils issus de l'évolution technologique de ces dernières décennies. Montage, inversion, mise en boucle, transposition, échantillonnage, compression, gel, réverbération, écho, délai, filtrage, mixage, accumulation, sont autant d'opérations fondamentales dont le principe s'est imposé depuis cinquante ans, à travers une déjà longue pratique et une histoire. Celles-ci permettent désormais aux chimères les plus sophistiquées, aux rêves les plus improbables de prendre forme, à condition que le compositeur ait une idée préalable de l'univers qu'il souhaite créer et faire entendre(…) »

 

Il est possible de contacter directement Frédéric Kahn par courriel pour vous procurer le CD de Ainsi s'acheva le rêve... et n'hésitez à découvrir son site.

 

La Lune peignait ses cheveux avec un démêloir d'ébène(1993)

Oeuvre pour guitare acoustique

Le compositeur a en outre composé une œuvre de musique contemporaine pour guitare seule où il a cherché à épuiser les possibilités sonores de l’instrument sans le détourner cependant de sa fonction d’instrument acoustique: la Lune peignait ses cheveux avec un démêloir d’ébène , première strophe du poème le Fou, du troisième Livre des fantaisies de Gaspard de la nuit. Cette composition sur des motifs constitués par une grande variété de modes de jeux à l’expressivité inattendue utilise les capacités de résonance de l’instrument est avant tout une démarche sonore, antérieure à  Ainsi s’acheva le rêve :

«  (…) le guitariste est l’interprète d’une musique dont l’écriture s’appuie non seulement sur les structures fondamentales du son (dynamique, timbre, hauteur, durée, intensité, attaque…), mais aussi sur sa poétique, sa force expressive. L’esthétique privilégiée de cette pièce est celle d’une musique sonique, musique des morphologies, qui joue du matériau même du son et de son espace réel et virtuel, d’une musique sculptée : héritage de la démarche expérimentale de la musique concrète et électroacoustique, et transposition dans l’univers instrumental des techniques acousmatiques, de leurs gestes virtuels et de leurs effets inouïs. » (propos recueillis auprès de Frédéric Kahn)

L’extrait de partition ci-dessous, inédit, est très éloquent par rapport à la démarche du compositeur. L’œuvre de Frédéric Kahn montre à quel point les poèmes et l’univers du poète Aloysius Bertrand sont une source d’inspiration inépuisable, y compris dans le sens de la recherche de nouveaux langages.